Il faut reconnaître que ce centre commercial de 84 000 m2 est, selon Christophe Cuvillierprésident du directoire d’Unibail-Rodamco (le propriétaire et l’exploitant du centre), « le plus grand centre commercial ouvert depuis 20 ans en Île-de-France ». Rien de moins !
Si l’on en croit Unibail-Rodamco, trois types de visiteurs seraient susceptibles de le fréquenter. En premier, le 1,8 million de personnes qui habitent à moins de 30 minutes en voiture (dont votre serviteur). En second, les employés de la zone aéroportuaire et de Paris-Nord 2, soit presque 120 000 actifs qui travaillent pour beaucoup en horaires décalés. Enfin, la clientèle d’affaires qui passe quelques nuits dans les hôtels autour de l’aéroport, ou qui va aux salons professionnels à Villepinte.
Ce qui m’a semblé intéressant à pointer ici c’est l’évolution du discours tout au long de la construction de ce projet jusqu’au résultat final, lors de l’ouverture.
Au départ en 2007, si l’on en croit le journal municipal « Tremblay Magazine », le projet d’une surface de 100 000 m2, est conçu par l’architecte Christian de Portzamparc (Cité de la Musique à Paris, la tour LVMH à New York, la Grande bibliothèque du Québec à Montréal, l’Ambassade de France à Berlin, etc.). Le promoteur met en avant la notion de pôle de services et de commerces qui a vocation de répondre aux besoins et attentes des salariés de la plateforme, des riverains de l’aéroport ainsi que des personnes en transit. Ainsi on devait y trouver un certain nombre de services non marchands (antenne ANPE, agence EDF, etc.), une crèche-garderie, un restaurant interentreprises, des salles de sports, des services bancaires à côté de commerces. La surface de vente n’était que de 50 000 m2 et devait comprendre 28 commerces de plus de 300 m2, dont une surface alimentaire généraliste d‘une superficie de vente de 5 000 m2 et 115 boutiques de moins de 300 m2.
Ce genre de projet ne se négocie pas sans une promesse d’emplois pour les élus qui vont avoir à se prononcer pour ou contre. Suivant les documents de l’époque ce nombre varie entre 2 600 et 3 000.
Chez Unibail, on se voulait rassurant : le positionnement « plutôt haut de gamme » d’Aéroville ne devrait pas faire concurrence aux autres centres commerciaux. Le Nouvel Observateur précisait à l’époque : « Pas plus que le petit Auchan ne fera d’ombre à Carrefour, très puissant en Seine-Saint-Denis (Parinor, Rosny 2, Beau-Sevran, Drancy) ». Enfin, le promoteur vantait sa démarche écologique : une coulée verte pour acheminer piétons et cyclistes et des panneaux solaires pour produire l’eau chaude nécessaire aux restaurants, rien que du bonheur nous assurait-on.
Alors, regardons maintenant la réalité.
Plus d’architecte vedette et point de Christian de Portzamparc, c’est Philippe Chiambarettaqui n’est manifestement pas très connu qui s’y colle. Plus question de pôle de services, j’ai cherché longtemps sur le site d’Aéroville la présence de services publics ou de restaurants interentreprises, même si vient d’ouvrir une crèche interentreprises de 36 berceaux. On semble donc être dans le commerce pur et dur. Et d’ailleurs pas de « haut de gamme ». Ce n’est pas la présence de « Bose » ou de « Marks & Spencer » qui va permettre de caractériser le centre qui me semble plutôt être dans le moyen voire bas de gamme. Aujourd’hui, nous en sommes à 80 000 m2 de surface de vente répartis entre unhypermarché Auchan de 7 500 m2, quelques 200 boutiques, 25 restaurants et un complexe de douze salles de cinéma porté par la société Europacorp de Luc Besson.
Pour ce qui est des emplois, le promoteur ne parle plus que de 1 500 emplois créés lors de l’ouverture, mais plus à terme (2 600 ?).
Un point encore quant à la présence d’un complexe de 12 salles de cinéma dans cet équipement.
Je vous propose un jeu : Trouvez quel député a posé la question parlementaire suivante, publiée au JO du 27 décembre 1999 et ainsi rédigée : « M. X X souhaite attirer l’attention de Mme la ministre de la culture et de la communication sur les dangers que pose la création rapide de multiplexes cinématographiques sur l’équilibre social et urbain des villes de Seine-Saint-Denis. .../... Depuis plus de vingt ans, des efforts importants ont été entrepris dans les villes de Seine-Saint-Denis en faveur du cinéma de proximité. Ces cinémas consacrent une grande partie de leur programmation à la diffusion de la création française permettant ainsi aux jeunes auteurs de présenter leurs premières œuvres et au public d’acquérir une culture cinématographique plus diversifie?e alors que les multiplexes diffusent essentiellement des films commerciaux, à gros budgets, dont la plupart sont réalisés outre-Atlantique. Si ces projets de complexes se concrétisent, ils vont hypothéquer sérieusement l’avenir de cinémas comme « Espace Prévert » à Aulnay-sous-Bois, « Les Trente-Neuf-Marches » à Sevran, « Louis Daquin » au Blanc-Mesnil et « Jacques Tati » à Tremblay-en-France. »
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