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jeudi 28 février 2013

la pénurie de professeurs remplaçants dans le « 93 »



« Un élève de Seine-Saint-Denis perd l’équivalent d’un an de scolarité, faute de remplacement des instituteurs absents »

Entretien avec Mathieu Glaymann, parent d’élèves à Epinay-sur-Seine, membre du Collectif des parents citoyens de Seine-Saint-Denis et de la FCPE.
Le Collectif des parents citoyens de Seine-Saint-Denis, dont vous faites partie, a déposé mercredi 27 février, au Sénat, un « cahier d’espérances » pour changer l’école en Seine-Saint-Denis, département le plus jeune de France métropolitaine, l’un des plus pauvres, aussi. Vous n’en êtes pas à votre première action sur le terrain…
Notre collectif s’est formellement constitué le 17 octobre 2012, à Pantin, en rassemblant des groupes de parents mobilisés autour des questions éducatives dans cette ville mais aussi à Saint-Denis, Saint-Ouen, Le Pré-Saint-Gervais et Epinay. Nous sommes aujourd’hui présents dans une vingtaine de villes du département. Nos actions ont réuni quelques 3 000 parents : des « nuits des écoles » du 27 novembre au 2 décembre, deux opérations « visite médicale gratuite » organisées à Epinay pour protester contre la pénurie de médecins scolaires, une classe « en plein air » à La Villette le 10 février, pour symboliser l’absence de remplaçants…
Vous évoquez la pénurie de professeurs remplaçants dans le « 93 ». On en a beaucoup entendu parler à la rentrée, quand même les inspecteurs de l’éducation nationale, d’ordinaire discrets, étaient sortis de leur silence pour dénoncer la situation et réclamer le recrutement de 250 enseignants. La situation s’est-elle aggravée ?
Elle s’est vraiment dégradée depuis 2007, en lien avec les coupes de personnels (80 000 postes supprimés en cinq ans). J’en ai pris la mesure à titre personnel : quand je compare la scolarité de mes deux enfants, l’un de 15 ans, l’autre de 6 ans,  je vois que mon aîné n’a connu que peu d’absences d’enseignants non remplacées, qu’il avait des personnels dédiés dans sa classe aux problèmes de comportement d’élèves, aux difficultés scolaires… Mon cadet, scolarisé depuis 2009, a connu, lui, plusieurs absences d’enseignants non remplacées, et aucune visite médicale à l’école. Dans notre département, 40 % des postes de médecin scolaires ne sont pas pourvus. Epinay, la plus grande ville sans médecin scolaire en Seine-Saint-Denis, compte 10 000 écoliers… mais aucun médecin scolaire depuis trois ans !
Quand aux problèmes de remplaçant, c’est école par école qu’on pourrait, réellement, en prendre la mesure. Il existe des collèges où des élèves n’ont pas de cours dans certaines disciplines depuis la rentrée. A l’école primaire, ce sont parfois plusieurs semaines consécutives d’absences non-remplacées. Notre département est celui qui connaît la plus forte poussée démographique – environ 1 % chaque année -, mais les moyens qui nous sont donnés sont très en-deçà des besoins : tout au long de sa scolarité, un enfant de Seine-Saint-Denis va perdre l’équivalent d’un an de scolarité, faute de remplacement des instituteurs absents. Moins de 1 % des enfants de moins de 3 ans sont scolarisés, alors que les chercheurs ont montré que cela compte, justement, dans les quartiers populaires. Les postes de Rased ont fortement diminué, et un nombre très faible d’enfants porteurs de handicap sont accueillis en « milieu ordinaire ». Ces chiffres-là, l’institution les a, mais elle ne les donne pas. Nous voulons de la transparence.
Les postes d’enseignants existent, mais ils ne sont pas pourvus…
Le problème de fond est un « non-accrochage » à l’école d’un certain nombre d’enfants et de parents, sans doute plus fort dans notre département qu’ailleurs, doublé d’une certaine désillusion des enseignants qui, en Seine-Saint-Denis, sont confrontés à tellement de problèmes de moyens  que ça les incite à partir. Chaque année, sur la totalité des professeurs – 11 000 dans le premier degré et le second degré -, il y a 2 800 demandes de mutation. Environ 500 aboutissent. 85 % des enseignants affectés dans le département n’y habitent pas. Pour beaucoup d’entre eux, l’objectif est de partir, de se rapprocher de leur ville d’origine ou de leur lieu de résidence.
Quelles sont vos attentes, vos revendications ?
Un « cahier d’espérances »… l’expression n’a pas été choisie au hasard : il s’agit de dénoncer la situation de l’école en Seine-Saint-Denis, de montrer que nous sommes combattifs tout en restant, dans le fond, optimistes. On ne veut pas alimenter la fuite vers l’école privée, alors qu’un enfant sur trois, dans le département, y est déjà scolarisé. Ce « cahier d’espérances » porte nos dix exigences pour l’école.
Sur la méthode, nous voulons que soit organisée une concertation qui touche largement la communauté éducative, au-delà des syndicats et des fédérations de parents. Nous sommes persuadés qu’il y a des solutions à trouver à la crise de l’école, établissement par établissement. Second objectif : remettre le service public de l’école sur ses deux pieds. Faire en sorte de redonner le goût de l’école aux enfants, aux parents et aux enseignants - en s’attaquant aux pédagogies, aux rythmes scolaires, au rapport entre l’école et l’extérieur, à la notation, à l’évaluation des élèves… - et, évidemment, en donnant à l’école les moyens de la réussite pour tous.
Notre « cahier d’espérances » comporte dix propositions pour le département, dont la scolarisation effective des moins de 3 ans, des postes de médecins scolaires pourvus, des enseignants formés face à nos enfants tous les jours, une prime aux « maires bâtisseurs » d’établissements, etc. Dans notre proposition de « loi citoyenne », nous demandons un « droit opposable » à l’éducation - comme pour le logement ; autrement dit, un dispositif permettant à tout parent de saisir une autorité publique s’il estime que son enfant n’est plus scolarisé dans de bonnes conditions. Autre demande : la suppression des fichiers d’élèves qui sortent des établissements, et la transparence sur les chiffres de l’école. Troisième revendication : renouveler le rapport école-familles, avec une salle dédiée aux parents accessible au minimum trois heures par semaine dans chaque établissement.
La réussite de tous les élèves passe-t-elle, selon vous, par la réforme des rythmes scolaires, qui suscite de très fortes inquiétudes parmi les enseignants mais aussi des parents d’élèves ?
Pour nous, cette question n’est pas centrale. C’est probablement un des éléments de la réussite des élèves, au même titre que la scolarisation des moins de 3 ans, la réflexion sur une autre notation, les pédagogies alternatives... Mais de notre point de vue, c’est une erreur d’avoir posé ce débat en ouverture de celui sur la refondation. Nous soutenons un meilleur étalement de la semaine et de l’année scolaires, la mise en cohérence des projets éducatifs dans et en-dehors de l’école - ce que tout le monde évoque, mais que peu de personnes font réellement -, mais nous sommes très inquiets du transfert de charges que la réforme des rythmes peut occasionner vers les collectivités.
Le retour à la semaine de 4,5 jours d’école suscite-t-il, en Seine-Saint-Denis, autant de débats - et d’inquiétudes - qu’à Paris ?
Appliquer la réforme des rythmes en 2003 ou en 2014 : pour moi, ce débat est secondaire. Ce qui compte, c’est d’avoir une ambition pour la réussite - et pas que scolaire - des enfants. Je ne vous cache pas qu’à mes yeux, la mobilisation parisienne a quelque chose de corporatiste. Les revendications mises en avant ont quelque chose de surréaliste, surtout quand on lit le rapport de la Cour des comptes(2012) : on y apprend qu’un lycéen parisien coûte 47 % de plus à l’Etat qu’un lycéen de l’académie de Créteil…Quand on voit les moyens mis par la ville de Paris dans l’école par rapport à ceux de n’importe quelle ville de Seine-Saint-Denis, l’aide apportée par les Professeurs de la ville de Paris (PVP), il est permis de s’étonner.
Reste que, dans notre département aussi, les enseignants ne sont pas, globalement, favorables à une mise en œuvre de la réforme dès 2013. Je n’ai pas entendu un seul d’entre eux nier l’importance d’un meilleur étalement des heures travaillées et d’une cohérence entre les temps éducatifs. Mais tous attendent, en priorité, plus de moyens pour l’école, pour sortir de l’injustice dont nous souffrons en matière d’éducation.

Propos recueillis par Mattea Battaglia

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