L’Islande avait le droit, lorsque ses
banques se sont effondrées en octobre 2008, de refuser de rembourser les
épargnants étrangers qui leur avaient fait confiance. Tel est le jugement [PDF]
rendu lundi, au terme d’un long bras de fer, par la cour de l’AELE (Association
européenne de libre-échange), dont elle est membre.
La décision islandaise
avait alors fait grand bruit, surtout en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas où étaient
concentrés les épargnants lésés (au total, les fonds confiés aux banques
islandaises représentaient environ cinq milliards d’euros, soit plus de la
moitié du PIB du pays).
Ce petit pays, ce tout
petit pays même, avec 320 000 habitants, avait osé dire
« non » à une demande de remboursement internationale. Ulcérés, les
Britanniques avaient même décidé, en guise de rétorsion, de geler les actifs de
l’Islande en se basant sur une loi antiterroriste.
Les Islandais en parlent
encore aujourd’hui avec un mélange de colère et d’orgueil. Lorsqu’ils évoquent
la fin de l’année 2008, ils glissent incidemment, en riant : « A
cette époque, nous étions des terroristes ! ».
Bras de fer
Ce clash avec Londres,
provoqué par un gouvernement dirigé par un conservateur, Geir Haarde, fut le
point de départ d’un bras de fer qui a fait entrer les Islandais, ces
ex-chouchous des idéologues ultralibéraux, dans la légende anticapitaliste.
Lorsque ses banques,
gorgées d’actifs risqués, s’étaient effondrées, l’Etat islandais avait accepté
de dédommager les épargnants islandais, mais pas les autres. Une telle décision
heurtait les règles bancaires européennes : l’Islande, qui fait partie de
l’AELE, doit garantir l’épargne de tous les déposants européens – jusqu’à un
plafond de 20 880 euros par personne.
Mais dans les affres
dans lesquels le pays était tombé, le gouvernement n’avait guère le choix.
Alors que, dans l’île, le chômage explosait, les salaires étaient gelés et le
prix de la nourriture doublait, ces exigences venues de l’étranger n’étaient
pas acceptables.
Les Anglais voient rouge
Le 7 octobre, le chancelier de
l’échiquier britannique Alistair Darling est au téléphone avec son homologue,
le ministère des Finances Arni Mathiesen, qui lui confirme la mauvaise nouvelle
(le script de la conversation a
fait l’objet d’une fuite) :
« Mais n’est-ce pas
une violation du traité de l’AELE ? », demande Darling interloqué.
Mathiesen :
« Non, nous ne pensons pas. Nous pensons que c’est en réalité conforme
avec de ce que d’autres pays ont fait ces derniers jours » (une allusion à
l’attitude américaine dans la faillite de la caisse d’épargne Washington
Mutual, ndlr).
Darling s’étrangle avant
de raccrocher :
« Le problème, c’est que des gens ont confié leur argent dans une
banque de chez vous et que vous avez décidé de vous asseoir sur leurs intérêts.
Cela pourrait être dévastateur pour l’Islande à l’avenir ! »
Le problème s’est
cristallisé sur les dépôts auprès d’une banque en ligne, Icesave, filiale de
Landsbanki, la première banque de l’île. Icesave avait démarché des clients
britanniques et néerlandais, leur promettant des retombées financières
volcaniques. Par exemple, en 2006, Icesave offrait des comptes rémunérés à des
taux imbattable, jusqu’à 6%.
Quelque
400 000 épargnants britanniques et néerlandais, parmi lesquels des
entreprises, des collectivités locales et même les universités d’Oxford et
Cambridge, avaient mordu à l’hameçon.
L’Islande aux côtés du Soudan ou d’Al-Qaïda
Furieux, le Premier
ministre britannique de l’époque, Gordon Brown, décide de geler les actifs des
établissements islandais situés en Grande-Bretagne. Faute d’avoir une solide
base juridique pour le faire, il s’appuie donc sur la loi antiterroriste de 2001.
Sur la page du site web du ministère des Finances britannique listant les
entités dont les actifs sont gelés, l’Islande apparaît alors aux côtés de la
Corée du Nord, du Soudan ou d’Al-Qaïda...
Pour éviter la colère de
leurs citoyens, les gouvernements de Londres et de La Haye indemnisent eux-même
les épargnants. Puis ils se retournent vers les autorités islandaises pour se
faire rembourser.
L’Islande demande alors
du temps : la somme exigée représente 60% de son PIB... Proportionnellement,
cela correspond à deux fois les réparations exigées à l’Allemagne après la
Première Guerre mondiale, considérées par tous les historiens comme absurdement
lourdes !
Des négociations
s’engagent, très dures. L’Union européenne prend le parti de Londres et de La
Haye. En 2009, les grands pays européens freinent, au sein du FMI, le déblocage
des tranches d’aides promises à l’Islande. « L’UE a agi stupidement en
faisant prendre du retard au plan du FMI. Ils ont pris le plan du FMI en otage ! »,
peste encore le ministre des Affaires étrangères actuel, Ossur Skarphedinsson.
Deux référendums, deux fois « non »
En octobre 2009, un
accord est trouvé entre Reykjavik, Londres et La Haye. Le Parlement islandais
l’approuve. L’Islande reconnaît une dette à 5,5%, sur quinze ans à compter de
2016, vis-à-vis du Royaume-Uni et des Pays-Bas. La dette représente
l’équivalent de 13 000 euros pour chacun des Islandais, enfants
compris.
Le peuple islandais ne
l’entend pas ainsi : une pétition circule, enjoignant le président de la
République Olafur Ragnar Grimsson de refuser de signer la loi. Elle réunit
56 000 signatures, soit 26% de l’électorat islandais. Qu’on imagine
en France une pétition regroupant dix millions de citoyens : quel leader
politique ne pourrait en tenir compte ?
Le président Ólafur
Ragnar Grímsson, auquel la constitution donne pourtant très peu de pouvoir,
s’appuie sur un article oublié de celle-ci pour bloquer une loi et la soumettre
au référendum. C’est la première fois en Islande qu’un président utilise ce
pouvoir. La première fois aussi qu’est organisé un référendum, dans cette
démocratie très parlementaire – son Assemblée, l’Althing, a plus de mille ans.
Au terme du référendum,
organisé le 6 mars 2010, 93% des votants rejettent les modalités du remboursement
de la dette aux Britanniques et aux Néerlandais. Seulement 1,8% les approuvent.
Des citoyens face à « la finance internationale »
Les contribuables disent
« non » à leurs politiciens et aux créanciers étrangers. Cet acte en
lui-même fait sensation dans le monde entier : enfin, lit-on sur de
nombreux blogs, des citoyens se dressent face à la finance internationale et
« refusent de se faire tondre » !
En décembre de cette
même année, un nouvel arrangement est trouvé avec Londres et La Haye. Les Islandais
n’ont guère le choix que de négocier, à cause des pressions des Européens sur
le FMI.
L’accord porte désormais
sur une dette à environ 3%, sur trente ans, à payer à partir de 2016. Mais
l’histoire se répète. En février 2011, le président Olafur Ragnar Grimsson
refuse de signer l’accord et le soumet au référendum. Le 9 avril 2011, les
électeurs le rejettent de nouveau, à 60% des voix.
C’est alors une
surprise : les sondages annonçaient une victoire du « oui ». Et
une nouvelle claque pour le gouvernement social-démocrate islandais. « La
pire option a été choisie. Le vote a coupé le pays en deux. Nous devons tout
faire pour éviter un chaos politique et économique après ce résultat »,
commente alors Johanna Sigurdardóttir, Première ministre islandaise.
Epilogue
La dispute entre Reykjavik d’un côté,
Londres et La Haye de l’autre a donc été renvoyée vers la justice, en
l’occurrence la cour de l’Aele. C’est l’autorité de surveillance de l’AELE qui
a porté plainte, en décembre 2011. La Cour a donné lundi raison aux Islandais, à
leur grande joie.
L’autorité de surveillance de l’AELE a pris acte du jugement, qui « clarifie un
problème important ».
Mais tout ne va pas si mal pour
les Britanniques et les Néerlandais : les Islandais ont certes dit deux
fois « non » à l’idée de faire supporter cette dette au contribuable.
Mais la liquidation de Landsbanki a déjà permis de rembourser deux tiers des
sommes dues à Londres et à La Haye.
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